Le décodage de la séquence humaine d’ADN a réservé bien des surprises. Les gênes codées dans notre ADN, ne représentent en fait qu’une petite partie (moins de 2%) de toute la séquence! Le décodage ne nous a pas permis d’expliquer les différences qui nous caractérisent. Nous apprenons peu à peu le rôle de cet ADN situé entre les gènes. Il sert probablement à réguler l´activité (la transcription) de nos gènes!

Nous savons aujourd’hui que certains facteurs environnementaux sont capables de modifier chimiquement certaines séquences de notre ADN et modifier la fréquence et l’intensité avec laquelle nos gènes sont transcrits (activés). Cette activation est la première étape dans l’élaboration des proteines nécessaires au fonctionnement de nos cellules.

Ces séquences qui modifient l’ADN s´appellent des marqueurs épigénétiques et les anomalies de ces séquences (épimutations) sont transmissibles à la génération suivante. L'épigénétique étudie donc les changements d'activité des gènes qui sont transmis au fil des divisions cellulaires et des générations.

La relation entre épigénétique et alimentation  a été découverte en étudiant un groupe de femmes hollandaises enceintes à la fin de la 2e guerre mondiale. Ces femmes étaient mal nourries (à cause d’une famine imposée par un embargo alimentaire). Elles ont ainsi donné naissance à de petits bébés. Quand ces bébés, rendus adultes ont eu à leur tour des enfants, leurs bébés étaient aussi trop petits, malgré une abondance de nourriture. Cette deuxième génération d’enfants (même ceux avec un poids normal à la naissance) avait, une fois adulte, un risque élevé de maladies cardiovasculaires et métaboliques. La malnutrition des mères hollandaises s´est répercutée sur leurs petits-enfants!. Mais comment une famine peut-elle affecter les descendants, alors qu'elle ne peut pas changer la séquence d'ADN dans l’ovule ou le spermatozoïde?

Les effets observés chez ces familles hollandaises proviennent de changements causés par des marqueurs épigénétiques, présents sur leur ADN. Ils sont probablement liés au manque de certaines molécules cruciales dans l’alimentation de leurs grand-mères. Un trop faible apport de nutriments sur une génération donnée peut donc avoir des répercussions à long terme au sein d’une famille!

L’une des plus importantes modifications épigénétiques connues est l´ajout de groupements méthyles à notre ADN (la méthylation de notre ADN). Cette méthylation est cruciale pour inactiver certains gènes. Au cours des divisions cellulaires, suite au dédoublement de l’ADN, la méthylation du nouvel ADN doit également avoir lieu. Elle requiert un apport constant de groupements méthyle ou de ses précurseurs dans notre diète. Ce sont les protéines riches en méthionine, bétaïne, choline ou en acide folique (vitamine B9) qui sont nécessaire. D’autres nutriments sont requis également pour permettre le transport des groupements méthyles et pour les attacher à l’ADN. C’est le cas du zinc et la vitamine B12. Une déficience dans ces molécules essentielles, peut donc avoir un effet sur le niveau de méthylation de l’ADN dans le corps et ainsi influencer plusieurs générations futures.

La nutrition de la mère pendant la grossesse a donc une importante influence sur la santé de l'enfant à l'âge adulte. Ainsi, des événements intra-utérins ou périnataux agissent sur l’expression des gènes d’un individu et peuvent influencer le développement de maladies une fois que l’enfant atteint l'âge adulte. Dans le cas de l´acide folique (vitamine B9), une déficience sévère de cette vitamine pendant la grossesse cause des malformations congénitales chez l´homme et la souris. Dans le cas de la souris, ces malformations peuvent se transmettre de façon héréditaire sur plusieurs générations!

Il est encore trop tôt pour affirmer que l´épigénétique est liée au diabète, au cancer ou certaines maladies psychiques. Les mécanismes biochimiques et génétiques qui régissent ces maladies ne sont pas encore bien définis. Plusieurs soupçonnent un rôle qui sera défini dans les années à venir.

Des pistes existent. Notre diète n’est pas la seule à exercer un effet épigénétique et transgénérationnel. Nombreux sont les produits chimiques qui ont un tel effet. Le perturbateur endocrinien diéthylstilbestrol, administré aux femmes enceintes jusqu’aux années 1970, est associé à une incidence élevée de cancer dans leurs enfants. Le diéthylstilbestrol n´est plus utilisé aujourd’hui mais un cocktail de produits chimiques dont les effets sont méconnus ou controversés contaminent notre vie courante! Son effet transgénérationnel reste à prouver!

Si vous tenez à vous occuper de votre épigénome, alors vous pourriez essayer de consommer des aliments non transformés et naturels qui fournissent les composants de base pour la méthylation de votre organisme. Par exemple, les légumes feuillus, les pois et les haricots, les graines de tournesol et le foie sont de bonnes sources d’acide folique. On obtient la choline en mangeant des oeufs, de la laitue, des arachides et du foie.

La plupart des protéines animales sont riches en méthionine mais on en trouve aussi dans les épinards, l'ail, les noix du Brésil, les haricots secs ou le tofu. Les huîtres sont riches en zinc. Finalement la vitamine B12 vous l´obtiendrez à partir du poisson mais aussi du fromage, du lait ou de la viande.

Maria Sol Rodriguez Pena, MD, PhD. Biochimiste clinique. Spécialiste en nutrithérapie
Marc D. de Smet, MD, CM, PhD, FMH Ophtalmo-chirurgien

Roseboom TJ, van der Meulen JH, Ravelli AC, et al. Effects of prenatal exposure to the Dutch famine on adult disease in later life : An overview. Mol Cell Endocrinol 2001;185:93-8.


Roseboom TJ1, Watson ED. The next generation of disease risk: are the effects of prenatal nutrition transmitted across generations? Evidence from animal and human studies. Placenta. 2012 Nov;33 Suppl 2:e40-4.