La communauté médicale n’a porté que peu d’attention aux causes nutritionnelles des maladies chroniques, ce qui inhibe l’émergence de thérapies nutritionnelles. Nous avons décrit au début de cet article, ce que des médecins ont pu accomplir dans les siècles passés grâce au sens de l’observation. C’est ce qui a permis à des médecins comme Lind ou Goldberger de démontrer dès le XVIIIème siècle l’efficacité  des agrumes contre le scorbut et que manger des grains entiers ou de la viande guérissaient la pellagre. Ceci avant même de connaître les vitamines C et  B, isolées au XXe siècle.

À l'heure actuelle, les carences en nutriments sont différentes de celles de nos ancêtres. Elles ne sont pas en règle générale sévères, mais souvent multiples et difficiles à diagnostiquer. La plupart de ces carences ne se reflètent pas dans les tests sanguins de routine, et les symptômes cliniques sont souvent non spécifiques. Souvent ces symptômes ne sont manifestes qu’après plusieurs années de déficit .... en forme de maladies chroniques de causes inconnues.

Une bonne partie des “preuves scientifiques" sont obtenues par la recherche expérimentale effectuée dans des laboratoires publiques ou dans des centres reliés à l’industrie agroalimentaire. L’observation clinique et épidémiologique a pris un second rang, bien que celle-ci reste souvent la première source d’information.

Le regard de la science est dirigé surtout vers la composition chimique des aliments et la biochimie nutritionnelle. Celle-ci considère un aliment comme la somme de ses différentes composantes (micro et macronutriments), chacun avec sa propre individualité, sa propre valeur nutritionnelle en oubliant parfois l’importance de la qualité globale de notre alimentation. Pourtant comme le mentionne Michael Pollan dans son libre "In Defense of Food: An Eater's Manifesto" (2008), un aliment est plus que la somme de ses composantes.

Malgré les progrès effectués dans notre compréhension de la biochimie humaine, la biochimie nutritionnelle n´a pas encore pu nous fournir des biomarqueurs qui indiqueraient une relation entre une maladie et un déficit d'un ou plusieurs nutriments dans notre alimentation. Nous n’avons pas au stade actuel des connaissances de valeurs normatives pour la plupart des  micronutriments, à l’exception du fer, de la vitamine D, des vitamines B et de l'iode.

Le manque de biomarqueurs nutritionnelles nous empêche souvent de comprendre certains mécanismes biochimiques responsables des maladies chroniques mais aussi de démontrer une causalité entre une maladie et une carence particulière. Il existe quelques cas où des études expérimentales révèlent une relation entre un déficit/excès d´un nutriment et une maladie, mais les essais cliniques de supplémentation en nutriments ne sont généralement pas concluants.

Les essais cliniques nécessaire pour démontrer l’efficacité des supplémentations restent donc à définir à la fois en prévention et en intervention thérapeutique.  Bien que la plupart des études cliniques (certainement pour démontrer l’efficacité thérapeutique d’un produit) sont conçues à double aveugle contre placebo et randomisées, cette approche n’est peut être pas la meilleure pour prouver l'efficacité thérapeutique d'un nutriment.

Grâce à des études épidémiologiques menées depuis plusieurs années dans divers coins du monde, le lien entre les déficits alimentaires et diverses maladies est bien établie:

Notons tout d’abord deux grandes études épidémiologiques initiées dans les années 50s qui confirment une relation entre le mode de vie (y compris les habitudes alimentaires) et la fréquence des maladies cardiovasculaires: l’étude des 7 pays (avec ses limitations déjà mentionnées auparavant), et l'étude de Framingham.

Une autre étude épidémiologique majeure, le NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey-Enquête nationale sur l’examen de la santé et de la nutrition) fut initiée aux États Unis au début des années 60, et a aujourd’hui plus de 67 ans de recul! Cette étude combine un relevé de l’état de santé des adultes et des enfants participants avec leur état nutritionnel et des bilans sanguins périodiques. Cette étude nous apporte de l´information sur la qualité globale de l'alimentation des populations enquêtées et nous confirme statistiquement ce que l´on observe pendant des années: l´aumentation du numéro des individues obèses parmis les adultes, les adolescents et même les enfants!

Mentionnons également les efforts européens entre autre l’étude EPIC, l'une des plus grandes études de cohorte au monde! Plus d'un demi-million (521.000) participants ont été recrutés dans 10 pays européens et suivis pendant près de 15 ans. EPIC a été conçue pour étudier les relations qui existent entre le cancer et les maladies chroniques avec l'alimentation, l'état nutritionnel, les facteurs environnementaux, et le mode de vie. Cette étude nous a appris par exemple, que le risque de cancer colorectal est associé à une forte consommation de viande rouge ou de viande transformée et qu’il est inversement associé à la consommation de poisson.

Une autre étude menée dans plusieurs pays européens, EURONUT analyse les relations entre le statut nutritionnel, l’environnement et le vieillissement. Il en découle que les taux de vitamines et de minéraux s'avèrent légèrement déficitaires dans un nombre croissant de personnes âgées, en particulier en vitamines B1, B6, calcium et en vitamine A.

Des études d'intervention (essais cliniques) avec des diètes spécifiques ou avec des apports en nutriments (supplémentation), nous montrent qu’une diète riche en fruits, légumes et produits laitiers à faible teneur en matières grasses, est bénéfique en cas d’hypertension artérielle (étude DASH "Dietary Approaches to Stop Hypertension"). Dans le cas de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge), l´étude AREDS (The Age-Related Eye Disease Study) démontre un effet salutaire de la prise de certains antioxidants et graisses poly-insaturées.

Hélas, pas toutes les études d´intervention ont des résultats positifs. C´est le cas de l´étude clinique française SU.VI.MAX (SUpplémentation en VItamines et Minéraux Anti-oXydants) lancée en 1994. Les capsules d'anti-oxydants avalées par le groupe traité n´ont pas eu d´effet sur l’incidence du cancer, des maladies cardiovasculaires ischémiques ou de la mortalité toutes causes confondues. On a uniquement pu montrer un effet protecteur des antioxydants contre le cancer chez les hommes. Néanmoins, par le biais de cette étude la santé publique à pris conscience de l’importance des anti-oxydants et a initié la campagne: "Mangez au moins cinq fruits et légumes par jour".

C’est aussi grâce aux études épidémiologiques  que nous avons finalement accepté que nous pouvions réduire notre risque de maladies cardiovasculaires en cessant de fumer, en perdant du poids, par une réduction de la tension artérielle, en consommant plein de fruits et de légumes et en mangeant régulièrement du poisson.

L’industrie pharmaceutique propose pour réduire le risque cardiovasculaire - toutes causes confondues - la prise des statines. Malgré de nombreuses études, un lien direct entre le taux de cholestérol sanguin et le degré d'athérosclérose dans les vaisseaux n’a pas été établi! Baisser uniquement le taux de cholestérol n´est pas suffisant pour réduire le taux de mortalité cardiovasculaire!

En conclusion, la prévention cardiovasculaire et notre santé métabolique implique une multitude de variables. C´est à nous de nous informer correctement et d’adjuster notre mode de vie en commençant par manger correctement pour conserver notre santé!

Maria Sol Rodriguez Pena, MD, PhD. Biochimiste clinique. Spécialiste en nutrithérapie
Marc D. de Smet, MD, CM, PhD, FMH Ophtalmo-chirurgien