Chaque jour, nos yeux sont agressés par des lumières artificielles, les scintillements d’écrans d’ordinateurs, les poussières, la fumée, la pollution... rien d'étonnant que, parfois, des signes de fatigue visuelle nous dérangent: picotements, larmoiements, maux de tête...

Tout comme le reste de votre corps, une bonne hygiène de vie et une nutrition adaptée sont indispensables pour assurer la bonne santé de vos yeux. On parle souvent du rôle primordial de l'alimentation dans la santé visuelle mais... quels sont les nutriments dont l’effet est démontré sur la vision et surtout où les trouve-on? De nombreux compléments alimentaires existent aujourd'hui pour la bonne santé visuelle. Mais sont-ils toujours nécessaires, lesquels prendre et quand?

Avant toute chose, il est important d’affirmer qu’il est déconseillé de suivre une diète trop restrictive si elle n’est pas justifiée par une raison médicale, sans avoir subit un bilan biologique (tests sanguins) et sans bénéficié d’un suivi médical approprié. Avec ou sans diète, une nutrition correcte doit contenir des sucres complexes, des graisses et une petite portion (15% de notre assiette) de protéines. Les sucres, et en particulier le glucose, nous est indispensable à la production d'énergie tandis que les graisses et protéines sont essentielles à la construction et au maintient de nos cellules. Malgré la mauvaise réputation de certaines graisses, une diète très pauvre en graisse n ́est pas du tout bonne pour notre santé!

Les nutriments - quantité ≠ qualité

La qualité des sucres, graisses et protéines dans notre alimentation est aussi importante que leur quantité... or au cours des dernières décennies, l'industrie agroalimentaire a drastiquement modifiée leur nature et leur qualité. En effet l'agroalimentaire tend à privilégier la conservation des produits et non ses propriétés nutritionnelles.

Le raffinage des sucres réduit la teneur en minéraux et en fibres et augmente l'absorption intestinale favorisant ainsi des pics de glucose dans le sang qui sont néfastes pour l'organisme au long terme.

Pire encore, l'industrie agroalimentaire utilise surtout des graisses raffinées, hydrogénées et désodorisées car celles-ci sont moins sensibles au rancissement et sont facile à incorporer dans des mets préparés. Malheureusement ces graisses ont peu de qualités nutritionnelles, en particulier leur teneur en vitamines liposolubles (surtout la vitamine E) et en oméga 3 est faible.

Le bilan au niveau des protéines n'est pas plus reluisant. Les conséquences néfastes des pratiques dans les élevages industriels d’animaux ont déjà fait la manchette des journaux à de nombreuses reprises. C'est de ces sources que nous vient aujourd ́hui la majeure partie de nos protéines animales. Le bilan au niveau des protéines végétales (souvent transgénique) n'est guère plus reluisant.

En conclusion, une bonne alimentation journalière est un défi. Elle doit éviter un excès d'aliments industriels, surtout des mets précuisinés. Ils sont utiles, certes, quand on n ́a pas le temps de cuisiner mais leur consommation doit être l'exception plutôt que la règle.

Se nourrir pour le bien de nos yeux

Commençons par les acides gras omégas 3. Vous en avez probablement tous entendu parler? Ils sont utiles pour réduire le cholestérol, pour la peau, les cheveux, le cerveau et bien sûr... pour les yeux! On en parle autant parce que bien qu'essentielle, notre alimentation moderne est en général pauvre en ce type de graisse. Les bâtonnets de la rétine sont particulièrement riches en oméga 3. On a reconnu depuis longtemps que les oméga 3 sont nécessaires à la transmission nerveuse (y compris celle déclenchée par la lumière). Ils ont même un rôle dans la protection des neurones et le développement visuel chez l’enfant (Gordon 2013, Demmig-Adams 2013).

Où trouve-t-on les oméga 3? Je vous invite a lire l'étiquète de votre huile de colza, elle est particulièrement riche en oméga 3, mais gare à sa source: votre huile doit avoir été pressée à froid et être bien conservée dans votre frigo, à l'abri de la lumière! Regardez au passage l'étiquette de l’huile de tournesol et de l'huile d'olive. Elles sont faibles en oméga 3! En pratique, l'huile idéale pour la santé n'existe pas. Il nous faut consommer plusieurs types d'huiles à l ́état cru si on veut en tirer un bénéfice maximal. Par exemple, l'huile d'olive est dépourvue d’omégas 3, mais sa richesse en antioxydants la rend très bonne pour notre santé. L'huile de colza en contient beaucoup d´oméga 3, mais elles sont perdues en chauffant l’huile et elles s'oxydent facilement!. Idéalement, l'huile de colza s'utilise cru dans l'assaisonnement d'une salade par exemple ou encore mieux mélangé à un huile d'olive riche en antioxydants! Les oméga 3 se trouvent également dans la graisse animale, lorsque ceux-ci sont nourris avec des aliments qui en contiennent naturellement tels que les algues, l'herbe ou des grains comme le lin, particulièrement riche en omégas 3. Malheureusement ces aliments ne sont pas privilégiés dans l'élevage industriel à cause de leur coût.

Certains oligoéléments tels que le zinc ou le sélénium ont une importance particulière pour l'œil. Ce sont des co-facteurs importants, agissant à faible dose pour limiter le stress oxydatif généré par la lumière. Le zinc se retrouve dans une large gamme d'aliments : viande rouge, volaille, légumineuses, noix, fruits de mer (particulièrement les huîtres), les grains entiers et les produits laitiers. Les noix du Brésil sont riches en sélénium.

Parlons maintenant des antioxydants. Alors que bien des animaux en produisent en abondance sans apport extérieur, nous en sommes incapables et donc ils doivent venir dans notre alimentation. Certains antioxydants sont des vitamines (vit A, C et E), mais pas seulement...

Les cônes et les bâtonnets de la rétine ont besoin de la vitamine A pour transformer la lumière en signal nerveux. La carence en vitamine A est la source d’une mauvaise vision, surtout nocturne. On trouve cette vitamine sous forme de précurseur (le béta-carotène) dans les carottes bien sur, mais également dans tout autre fruit de couleur orange: les patates douces, la citrouille, la mangue et l'abricot. La vitamine A elle-même est présente dans bien des produits animaux tels que le foie, les huiles de foie de poisson, le beurre et les produits laitiers riches en graisses, et le jaune d'œuf. La vitamine C est une vitamine hydrosoluble qu'on retrouve en forte concentration dans le cristallin, au niveau de la cornée et le liquide qui beigne l'intérieur de l'oeil. La vitamine C se retrouve principalement dans les fruits et les légumes frais. Finalement, la vitamine E, par ses propriétés antioxydantes, aide à lutter contre les effets du vieillissement. Cette vitamine ne se retrouve pas en abondance dans notre alimentation. Les fruits secs à coques (amandes, noisettes...), et les huiles végétales non raffinés sont sa principale source. Elle complète l’action de la vitamine C et des caroténoïdes, et contribue à protéger les graisses des membranes cellulaires en piégeant les radicaux libres. La lumière en produit beaucoup au niveau de la rétine. Si ces radicaux ne sont pas captés par des antioxydants, ils dénaturent les graisses et entament progressivement un processus qui mène à la dégénérescence maculaire (DMLA).

Les caroténoïdes sont des pigments que l'on retrouve normalement dans la rétine. Ils sont produits uniquement par les microorganismes photosynthétiques et les plantes. Ceux-ci les utilisent pour se protéger contre les effets toxiques de la lumière intense et de l’oxygène. Parmi les caroténoïdes on trouve les carotènes (abondantes dans la carotte et la tomate), la zéaxanthine (abondante dans les aliments jaunes comme le maïs; on la retrouve aussi dans les oeufs si la poule a eu une alimentation riche en zéaxanthine), et la lutéine (abondante dans les aliments à feuilles vertes). Les caroténoïdes sont responsables de la couleur jaunâtre de la macula (tâche jaune). Elles sont de puissants antioxydants mais filtrent également la lumière bleue, particulièrement agressive pour la rétine. Ces deux actions contribuent à préserver la rétine de la dégénérescence. Leur présence dans la rétine baisse avec l'âge.

Ainsi, pour améliorer la vision et réduire le risque de maladie, mieux vaut une alimentation riche, variée et colorée aussi près que possible de la nature. Consommez une alimentation naturelle à base d'aliments complets riches en zéaxanthines, lutéines, vitamines et minéraux antioxydants, avec un rapport équilibré d'acides gras omégas-3.

Que dit la recherche?

Bien que l’ensemble des résultats provenant d'études expérimentales supporte une relation de protection entre les taux d’ antioxidants et la DMLA, les résultats d’études épidémiologiques sont contradictoires. Les interventions nutritionnelles avec des omégas 3 et des antioxydants dans les maladies oculaires ont fait l’objet d’études épidémiologiques, citons parmi eux les suivantes:

  • AREDS (Age-Related Eye Disease Study)
  • EDCC (Eye Disease Case-Control Study Group)
  • POLA (Pathologies Oculaires Liées a l'Age)
  • NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey)

Aucune donnée expérimentale ne supporte présentement la prise de supplément d’antioxydants pour prévenir ou retarder le développement des maladies oculaires tels que la DMLA ou la cataracte.

Que peut on faire?

Il faut tout d’abord surtout penser à corriger votre alimentation. Une alimentation correcte doit être la plus naturelle possible, riche en légumes et fruits. Elle doit être fraîchement préparée. Elle doit vous apporter suffisamment de sucres complexes (amidons et fibres abondants dans les céréales complets ou les pommes de terre...), en évitant les sucres simples, raffinés tel que le fructose ou le sucre de table (saccarose). Elle devrait contenir des graisses et des protéines de très bonne qualité et une quantité suffisante d ́eau.

Les légumes et fruits sont très riches en vitamines, minéraux et en molécules antioxydantes précieuses pour l'œil. Les vitamines C et E et les caroténoïdes des légumes et des fruits permettent de neutraliser les radicaux libres. Les protéines et les graisses de qualité se trouvent dans le poisson, la viande, les oeufs, le lait etc. Veillez à choisir des viandes d’animaux et poissons nourris de façon naturelle. Si vous êtes un(e) végétarien/ennne vous savez déjà qu’une combination de céréales et de légumineuses vous apporte aussi une protéine de très bonne qualité.

La qualité de la graisse de nos aliments est très importante pour notre santé et celle de l'œil. Or la graisse est l'un des composants de notre alimentation qui a subit le plus de modification dans les mets précuisinés. Les précieux omégas-3 se retrouvent surtout dans le poisson gras (sardine, hareng, maquereau, saumon...) ou dans la viande provenant d’animaux nourris avec de l ́herbe ou des graines contenant des omégas 3 comme les graines de lin, cameline ou colza.

Faites attention à la préparation et la conservation des mets contenant les omégas 3. Ces omégas 3 sont très sensibles à la chaleur. Les fritures et autres cuissons à des températures qui dépassent 100 C détruisent les omégas 3 et carbonisent les protéines de la viande, ce qui génère des radicaux libres néfastes pour l'organisme.

Malgré la mauvaise réputation des graisses saturées, elles sont nécessaire à notre santé. Par contre, les graisses trans sont à éviter. Elles sont présentes dans presque tous les aliments industriels et parfois même ceux que nous préparons dans nos cuisines! En effet, un chauffage incorrect des huiles, surtout des huiles végétales (colza, tournesol, noix, olive...) peut générer des graisses trans!

Votre médecin vous conseillera éventuellement de prendre certains suppléments pour votre vision si ces derniers s ́avèrent nécessaire. Néanmoins, la prise de suppléments innécessaires ou à haute dose peut avoir des effets néfastes sur votre santé. Citons ici, par exemple, qu'une prise incorrecte et sans contrôle médical de la vit E ou des omégas 3 peut augmenter les effets des anticoagulants (médicaments qui aident à fluidifier le sang) et donc votre risque de saignement. Le béta-carotène à fortes doses (sous forme de compléments) augmente le risque de développer un cancer du poumon chez les fumeurs. Par contre, aucun effet négatif n'a été rapporté par une alimentation riche en antioxydants. Donc ajuster votre alimentation car il n'y a pas d ́excuses pour éviter les légumes en abondance dans vos assiettes... et les fruits rouges (baies, framboises, fraises et autres fruits) au dessert!

Dans certains cas, si vous le demandez, votre médecin pourra vous référer à un spécialiste en nutrition ou nutrithérapie. Ce dernier peut vous donner des conseils plus précis et adaptés à votre situation particulière. Il faut savoir que certains déficits nutritionnels peuvent ressortir dans un test sanguin ciblé, qui pourrait être effectué lors d'un tel contrôle. Il faut également préciser que la plupart des caisses de maladie en Suisse ne couvrent pas les conseils donnés par les spécialistes en nutrithérapie.

A lire pour plus d´information

  1. Demmig-Adams, B and Adams, RB. Nutrients 2013, 5, 2483-2501
  2. Gordon, WC and Bazan, NG. Current Eye Research, 2013; 38(10): 995–1005
  3. Société Suisse de Nutrition SSN et «Les graisses dans notre alimentation», recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP)

 

Maria Sol Rodriguez Pena, MD, PhD. Biochimiste clinique. Spécialiste en nutrithérapie
Marc D. de Smet, MD, CM, PhD, FMH Ophtalmo-chirurgien